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En Irlande du Nord, chaque été, d’étranges monuments sortent de terre, ziggurats des temps modernes, tours de Babel précaires ou solidement campées. La réalité qui se cache derrière ces constructions – de futurs feux de joie –, est en fait bien désenchantée. L’embrasement des Bonfires dans la nuit du 11 au 12 juillet est peut-être l’instant de cristallisation le plus fort de la haine qui sépare encore l’Irlande du Nord en deux camps, unionistes (protestants loyalistes, pro-anglais) d’un côté, et républicains (irlandais catholiques) de l’autre. Acte culturel autant que provocation ostentatoire, les Bonfires sont érigés dans les quartiers protestants, en commémoration de la victoire de Guillaume d’Orange sur Jacques d’Angleterre, le dernier roi catholique, lors de la bataille de la Boyne le 12 juillet 1690. Les bonfires allumés sur les collines auraient alors guidé la flotte de Guillaume d’Orange la nuit, le menant à la victoire.

Ils sont aujourd’hui l’occasion de brûler drapeaux irlandais et symboles catholiques, sous les yeux de ces derniers. 

 

Si des accords de paix ont été signés en 1998, mettant fin à des décennies de conflit meurtrier, les tensions entre les deux communautés n’en demeurent pas moins présentes ; elles ont parfois trouvé de nouvelles formes : les démonstrations de force de groupes paramilitaires, les fresques aux représentations de plus en plus violentes des Troubles, les murs de séparation... Autant de cicatrices et d’indices de la fragilité de cette paix. 

 

Ce sont ces traces laissées par une quasi guerre civile, à la fois si proche et si lointaine, si récente et si mal connue, qui ont intrigué Philippe Grollier. Depuis 2003, le photographe se rend régulièrement sur place pour tenter de comprendre les conséquences de ce conflit sur les différentes générations, mais aussi sur le paysage. Il a commencé à immortaliser les Bonfires, tandis qu’au fond de lui, il n’avait qu’une hâte, qu’ils disparaissent et cessent de réveiller annuellement la violence. 

 

Ces constructions ont quelque chose de fascinant et d’attirant autant qu’elles peuvent susciter le rejet. Certaines tours sont frêles, au bord du déséquilibre, dans l’attente urgente du spectacle, tandis que d’autres, millimétrées, colorées, font figure de prouesses, de petites merveilles collectives, d’autres encore sont des monuments de brutalité. Les photographies de Philippe Grollier, réalisées en série, adoptent toujours le même point de vue : frontal, centré ; l’image offre la netteté caractéristique des prises de vue à la chambre et généralement, un être humain (des enfants) donnent l’échelle. Le photographe s’attaque à ces « monuments » avec un désir d’objectivité sérielle, et seul un ciel orageux semble parfois refléter ses pensées profondes.

 

Des monuments en attente de consécration par le feu, c’est ainsi qu’on pourrait les appeler, car ces formes prennent véritablement tout leur sens au moment de leur embrasement. Ce qui est capté ici, c’est l’instant de la violence dans sa préparation, la violence affichée mais contenue, prête à exploser, c’est l’étrange beauté de certaines accumulations juste avant la destruction ; un instant paradoxal : la « tour » est dans sa superbe, certains la signent en la coiffant fièrement d’un drapeau anglais, tandis que d’autres y érigent un drapeau irlandais pour mieux le voir brûler tout à l’heure, promesse de cruauté. L’œil du photographe enregistre cette confusion momentanée, cet entre-deux lors duquel le sens se perd, éventuellement. Entre neutralité pure et document engagé, à chacun de départager dans ces images la place de la forme folklorique, de la forme artistique, et celle de la provocation, de la violence, de la fierté de la défense du territoire.

 

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In Northern Ireland each summer, strange monuments spring up, ziggurats of modern times, Babel towers precarious or solidly encamped. The reality behind these constructions - future bonfires - is actually much disenchanted. The burning of Bonfires on the night of July 11 to 12 may be the moment of the highest crystallization of hatred that still separates Northern Ireland into two camps Unionist (Protestant loyalist, pro-British) on  one hand, and Republicans (Catholic Irish) on the other. Cultural act much as ostentatious challenge, Bonfires are erected in Protestant districts in commemoration of the victory of William of Orange on Jacques of England, the last Catholic king in 1690. They have now the opportunity to burn Irish flags and Catholic symbols, under the eyes of the latter.

If peace agreements were signed in 1998, ending decades of bloody conflict, tensions between the two communities remain no less present; they have sometimes found new forms paramilitary force demonstrations, frescoed representations of increasingly violent of Troubles, separation walls ... So many scars and clues to the fragility of that peace.

These are the traces left by a near civil war, at once so near and so distant, so recent and so poorly known that intrigued Philippe Grollier. Since 2003, the photographer travels regularly on site to try to understand the consequences of this conflict on different generations, but also on the landscape. He began to capture the Bonfires, while at the bottom of it, he had one desire, they have to disappear and cease to awaken violence annually.

These constructions have something fascinating and attractive as long as they can generate rejection. Some towers are frail, along the imbalance in the urgent waiting the show, while others, millimeter, colorful, figure as prowess, small collective wonders, others are brutal monuments. Philippe Grollier,’s photographs made in series, always take the same view: front, center; Picture feature offers the sharpness of shots taken with a large format camera and usually a human give the scale. Photographer addresses these "monuments" with a desire to serial objectivity, and only a stormy sky sometimes seems to reflect his deep thoughts.

Monuments awaiting consecration by fire, this is how we might call them, for these forms actually make sense when they fire. What is collected here is the moment of violence in its preparation, but the display contained violence, ready to explode, is the strange beauty of some accumulations just before destruction; a paradoxical moment: the "tower" is in its superb, some the sign proudly capping a British flag, while others will erect an Irish flag to burn better seen earlier, cruelty promise . The eye of the photographer records the momentary confusion, this in-between during which the meaning is lost, eventually. Between pure neutrality and paper committed to each to decide in these images instead of folk form of artistic form, and the provocation, violence, pride of the defense.

 

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